Le Restaurateur

C’est un passionné de restauration de voitures anciennes qui me contacte aujourd’hui pour une réparation de “petite mécanique” : une Chronographe Suisse, équipée d’un mouvement Landeron 48. Cette montre mécanique avait appartenu à son père et n’a plus tourné depuis 1968.

Après quelques investigations et discussions avec le propriétaire, je peux résumer l’inventaire des travaux à :

démontage,
réparation de l’axe de balancier cassé,
nettoyage mouvement, cadran et aiguilles,
remontage, huilage et réglages.

Sauf surprises bien entendu… et c’est connu, les surprises aiment se cacher jusqu’au dernier moment !

* * *

Galerie de la restauration

C’est ainsi que débutent les travaux : dans les casiers supérieurs la montre à réparer, dans les casiers inférieurs, le donneur et les bracelets hors d’usage des deux.

Tout démontage commence par retirer la tige du remontoir. Il y a de la vieille graisse en abondance…

Il faut également enlever les deux cames de chronographe pour libérer les poussoirs. Les pièces sont propres, il n’y a pas de rouille. Les vis méritent un polissage, les têtes ont souffert des interventions précédentes.

Il reste un cercle d’emboîtage à retirer, ou du moins ce qu’il en reste. Le morceau est cassé, il en manque un bon tiers. Je verrai si je peux récupérer celui du donneur.

Le mouvement entier, avec le cadran, sort par en dessous. Le verre est fixé directement sur la carrure, sans lunette amovible.

Le cadran est assez sale et abîmé. Je ne tenterai qu’un simple nettoyage de la crasse, une restauration n’est pas souhaitée par le propriétaire de la montre.

Le mouvement est en bon état, vu son âge et le temps depuis lequel il n’a pas tourné.

Désarmage du barillet et sortie de l’ensemble coq / balancier.

Les deux pivots de l’axe de balancier sont marqués par les flèches. Le pivot supérieur est cassé.

Vue sur l’ancre et le train de roues. Tout est relativement propre, peu de poussières ont pénétré dans la carrure.

Je prélève ensuite le pont/coq / balancier du donneur pour vérifier le bon état des pivots de l’axe de remplacement. Le pivot inférieur m’apparaîtra un peu tordu, je vérifierai / corrigerai après le nettoyage.

Pour vérifier d’entrée de jeu l’option « d’échange standard », je monte les organes du donneur dans le receveur. Ça tourne librement, il faudra corriger les ébats qui sont trop importants !

Dépose des aiguilles en protégeant le cadran. Un simple nettoyage leur redonnera un peu de brillance.

Le cadran, sans les aiguilles.

Après déserrage des vis de retenue des pieds du cadran, celui-ci s’enlève sans difficultés.

Le mouvement, côté cadran, avec le mécanisme de mise à l’heure, la roue des heures et le petit clinquant. Je ferai un gros plan des inscriptions après nettoyage.

Dans l’attente de la suite du démontage, les pièces rejoignent leur boîte où elles seront à l’abri pour la nuit.

Le lendemain, poursuite des travaux… Démontage de l’embrayage du chronographe.

Vue sur le pont du chronographe et la roue glissante.

L’extraction de la roue suivante nécessite mon petit levier spécial, fabriqué à l’école.

Le démontage des ponts – ici celui de barillet – découvre tout le train de rouages, depuis le barillet (grande roue à étages en bas) jusqu’à la roue d’échappement (petite roue à « griffes » tout en haut).

Photographie du mécanisme de mise à l’heure, qui me permet de mémoriser la position de chaque pièce.

Voici un exemple de vis massacrée. Il s’agit d’un des blocages des pieds de cadran. Je ne comprendrai jamais comment ce genre de manipulation malencontreuse peut arriver sur une vis où il n’y a aucun effort à faire…

Inscriptions variées sur la platine, faites probablement lors d’interventions passées sur le calibre…

Et comme la veille, les pièces rejoignent leur boîte pour la nuit. Il me reste quelques sous-ensembles à démonter, ce que je ferai au fur et à mesure de leur nettoyage.

Ma petite station de nettoyage : une cuve ultrasons toute simple, remplie d’un peu d’eau. Y plonge un petit bocal contenant du Rubisol pour le dégommage. Deux stations de rinçage manuel au PF80. S’ajoutent une variété de petits paniers, bouchons, pipettes, tissus et une pince plastique.

Un exemple de ce que l’on peut mettre dans un petit panier : les deux vis de blocage des pieds de cadran, le contre-pivot et son rubis et la vis qui le maintient sur la platine.

La platine mérite un petit brossage au « Tartare » pour enlever l’oxydation de surface.

Entre en action la brosse à dents pour aller dans tous les recoins. Puis suit un nouveau passage à la cuve ultrasons pour débarrasser la platine de tous les résidus de nettoyage.

Au sortir des bains, le côté ponts de la platine…

… ainsi que le côté cadran. Les taches que l’on peut encore observer sont le fait d’une usure de la couche de protection du laiton. Au fil du temps la platine se ré-oxydera à ces endroits. Un nouveau rhodiage ne fait pas partie des travaux commandés.

La face supérieure du pont de rouages comporte plusieurs excentriques. Ils règlent le mécanisme du chronographe. Leur état est entre très abimé (bleu) et irrécupérable (rouge). Je ne toucherai pas au rouge, les bleus seront repolis.

La face inférieure comporte également quelques vis à retoucher. Celles de la roue de couronne et les deux grandes du cliquet et de son ressort.

C’est à la potence que je chasse les excentriques, en ayant bien pris soin au préalable de noter leur position.

Puis entre en action le tour aux vis pour redonner une face propre à ces vis.

Les pièces au sortir du bain de nettoyage. J’ai déjà remonté les excentriques sur le pont.

Le dessous du pont, avec les vis polies et les pièces propres, huilées et ajustées.

Ici c’est une vis excentrique de réglage des cames de chronomètre. On voit bien comme elle a été abimée par les coups de tournevis lors d’interventions précédentes, tournevis qui a dérapé et marqué profondément le pont. La tête de vis est aussi très abîmée, ce qu’il s’agit de corriger.

eci est une vis de pont, dont la fente est marquée, mais la surface est encore relativement propre.

Voici la même vis, au sortir de l’opération de polissage. La tête brille bien et la fente est joliment anglée.

Un gros plan de la vis excentrique restaurée à un état qui n’a plus rien à voir avec celui d’avant l’intervention.

Certaines pièces ont besoin d’êtres débarrassées d’une fine couche de rouille. Je les passe sur ma plaque à microfilm, en les maintenant bien à plat avec un bouchon.

Toutes les vis sont polies et les pièces sont propres. Le nettoyage est enfin fini ! Voici l’éclaté de la montre, il ne manque que le verre et le bracelet.

La question se pose donc : comment remonter tout ça sans se tromper ? D’abord lors du démontage, je classe tous les éléments par sous-groupes dans des petites boîtes. Une grande boîte renferme toutes les pièces d’une montre.

Je prends des notes dans mon carnet de lait…

… beaucoup de notes ! Je note les heures de travail aussi. Ici ce sont les positions des excentriques et l’emplacement de leur axe excentré.

Les notes du constructeur aident à comprendre le mouvement.

Ce soir graissage et remontage du ressort dans son barillet.

Et dans la foulée je pose le train de rouages.

Remontage des ponts de barillet et de rouages et l’on retourne le mouvement pour monter le mécanisme de mise à l’heure et de remontage. Et là, un petit constat : le pignon coulissant a une dent en moins. Ca ne l’empêchera pas de fonctionner, mais il y aura un raté. Je dois le laisser ainsi…

Le sautoir de tirette est monté, tenu par deux belles vis toutes polies

Oops, encore un coup de ce (censuré) de Murphy ! La pierre de pivot de l’axe de balancier s’est fait la malle durant le nettoyage. Inutile de la chercher, elle est partie avec le bain ! La bonne occasion pour démonter le donneur et tenter de récupérer le rubis et le pignon coulissant !

Je désemboite le donneur. Il cédera le petit rubis au bout de la flèche.

Rubis qu’il s’agit d’abord d’extraire à la potence en le poussant vers le bas.

La pierre est reçue dans un petit réceptacle sous la potence. Il faut encore la nettoyer aux ultra-sons, ainsi que le contre-pivot que j’ai du enlever à nouveau.

Il n’est pas très grand ce rubis : 0.75mm de diamètre !

Et voilà le travail, le mal est réparé !

Finalement montage du pont d’ancre pour conclure la soirée. Hmmm, à regarder de près les photos il me semble que la pierre est de travers –> vérification et correction au besoin. J’ai finalement démonté et remis le rubis à plat, ainsi que changé le pignon coulissant. Avec les nettoyages et contrôles, ça m’a quand même pris une bonne heure !

DAMNED L’axe du balancier de récupération n’était pas dans un état bien meilleur que le précédent, malgré les apparences. D’abord l’un des pivots était tordu et il a fallu le redresser…

Ici l’ensemble a encore deux pivots. Hélas peu après la mise en place dans le mouvement c’est le pivot supérieur qui lâchait à son tour…

Heureusement que j’ai de la réserve en balanciers. Il n’y a plus qu’à faire le changement : dériver l’ancien axe et river un nouveau. Des heures, des heures, grâce à Mr. Murphy, merci !

Il est bien pratique ce petit outil Seitz pour redresser les pignons tordus.

Mais c’est de l’autre côté que ça a cassé…

J’enlève la rivure au burin. Il suffit de très peu car il ne faut surtout pas creuser la serge du balancier.

Et l’ancien axe est chassé hors de son logement.

Rivetage du nouvel axe et contrôle du plat du balancier. Tout baigne !

Et voilà : un nouvel axe avec deux pivots bien visibles !

Finalement YAVEKA !! Mais ça m’a quand même pris presque 4 heures.

Voilà, c’est ré-assemblé. Le mouvement a fonctionné 24 heures sans peine. L’ajout du chronographe a ajouté quelques fausses notes à cette belle partition. Mais c’est dont je vais m’occuper dès à présent !

Une mesure rapide a montré que le mouvement retardait. Il y a également de l’ajustement d’excentriques en perspective, car pour l’instant la fonction chronomètre marche plutôt couci-couça.

Les réglages du chronographe sont délicats : une fois ça n’engrène pas, une fois la roue d’embrayage appuie trop fort et le mouvement s’arrête. Il faut trouver le juste milieu en ajustant tous les excentriques.

Montage du cadran et des aiguilles dont il fallu resserrer les tubes. Le cadran est propre, mais ça a un peu nui aux inscriptions qui sont partis avec la crasse. Mais ça reste un joli cadran d’origine.

Pose d’un nouveau verre avec le « crocodile ». Sans problèmes majeurs, si ce n’est qu’il a vraiment fallu serrer le verre « à coin » pour le faire rentrer.

Après emboîtage du mouvement et de son cercle, d’ailleus posé à l’envers dans la photo. Je ne m’en suis aperçu qu’en tentant de revisser le fond. Evidemment un gros cil s’est collé sur la face intérieur du verre et il a fallu tout re-démonter…

Le côté cadran après emboîtage. La montre tique de bon train, mais le chrono est encore perfectible. On s’approche néanmoins de la fin Tout allait bien… J’enlève le balancier encore une fois car le piton frottait un peu. J’y remédie, remets le pont et…. 120° d’amplitude, un « son » diffus, pas de courbe, « quelque chose » frottait… J’ai pensé à un défaut d’huilage… puis d’ébattement… puis d’ancre… puis j’ai abandonné et suis allé me coucher. Le lendemain soir il m’a fallu encore quelque grattages de tête pour trouver un pivot légèrement plié. Evidemment au redressage il a aussi cassé ! Ce n’est que le second changement d’axe… ça va plus vite maintenant. Ceci est vraiment la seule chose qui puisse me consoler Si seulement s’avais identifié la cause du problème avant d’avoir enlevé le pont… Bref, j’ai encore galéré un moment…

D’abord en mesurant les diamètres de pivot… le nouvel axe aurait-il des pivots plus épais ? Que nenni, c’était autre chose : le spiral n’était pas à plat et une partie frottait sur la serge du balancier.

Depuis ça va nettement mieux Un réglage aux petits soins du centrage au coq en tournant la virole, puis de la longueur active du spiral. Ample débattement pour le balancier, 0.0ms d’écart, +/- quelques secondes par jour. Même si la marche n’est pas régulière comme un mouvement neuf…

Dans la foulée, re-emboitage…

Il reste à régler la fonction chrono. Le reste est bon pour le service.

Au moins trois endroits du mouvement sur lesquels le fond frotte, occasionnant l’arrêt du mouvement. J’ai inséré une bague pour rehausser ce fond qui ne saurait être d’origine..

Quelques arrachages de cheveux avec le chronographe : le saut du totaliseur de minutes bloquait le mouvement par un effet d’arc-boutement sur la roue coulissante (flèche bleue). Il a fallu régler les excentriques, démonter la roue coulissante, régler le sautoir du totaliseur, recommencer 5 fois, enlever l’huile sur les pivots, régler les axes de pivotement des cames, etc. mais j’y suis arrivé ! Le chronographe a tourné toute une nuit sans faille

Vissage du fond. Il est bien en mains avec l’aide d’un peu de pâte à coller Uhu. Le pas de vis est délicat et il a fallu plusieurs allers-retours pour bien engager le filetage.

On le constate : les encoches du fond ont la même allure de massacre à la tronçonneuse que les vis à l’intérieur du mouvement avant que je nes polisse.

Voilà : il ne manque qu’un joli petit bracelet que j’irai acheter demain. La montre tourne bien, tient l’heure et ça fait du bien !

Photos finales

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